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Thé de juillet
mardi 17 avril 2018, par
Depuis plus de trois décennies, je compose un calendrier de MES boissons ou nourritures pour présenter les vœux de saison aux francophones en mon cœur. Ces douze quatrains, un par mois, célèbrent des parentèles ou des événements privés, lointains, parfois même si personnels qu’ils ont pu sembler obscurs aux récipiendaires.
En contrition, voici quelques précisions ou détails, souvent d’ordre intime ou familial, susceptibles d’éclairer le contexte de ces confidences. Et puis, ça me fait plaisir de raconter ces bribes. Cette fois, il s’agit de mes tasses de thé, calendrier paru à l’aube de 1996.
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Thé de juillet
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Pour le mendiant, on a poséSur le seuil le thé dans un verre.Il boit, de joie martyrisé,Agenouillé dans les poussières.
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Scène si fréquente en Inde. Regardons-la : la compassion s’y mêle à la violence.
La compassion : il n’est pas fréquent d’offrir un verre de thé à un mendiant de passage, le considérant comme une personne et non comme simple occasion d’accomplir un devoir religieux (comme chez les musulmans).
L’offre d’un thé signifie aussi qu’on le connaît : il passe mendier régulièrement ; c’est un familier ; comme un client dans l’antiquité, il assure à sa façon le renom de la famille.
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Mais : on ne le fait pas entrer dans la maison qu’il polluerait probablement par sa seule présence. Il ne doit pas dépasser le seuil. De même, on ne lui donne pas le verre dans les doigts : on le pose sur la pierre du seuil d’où il la prendra pour boire. Signe de distance entre inégaux.
Et pourquoi un verre ? Parce qu’après boire, il le reposera vide sur la pierre et la maitresse de maison le rincera abondamment pour en laver la souillure de son contact (exactement le même rite lustral de notre antiquité latine, impossible à réaliser sur de la terre cuite) avant de le reprendre, visiblement purifié, du bout des doigts.
Le mendiant joue son rôle ambigu : savourer ce partage comme une souffrance, prédestiné à la pollution, à genoux devant qui le précède, le dépasse en karma vers la divine pureté…
Salopards de croyants !
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